Comment adapter ma solution sur des territoires complexes aux enjeux multiples ?

Dans le cadre de la filière audacieuse Les Sentiers, Le Kiif a réuni un plateau de spécialistes de l’économie sociale et solidaire en milieu rural. Les maîtres-mots sont coopération, humilité et confiance !

Camille Plagnard de l’association InSite.

InSite soutient les territoires ruraux en attirant les jeunes qui viennent dans des villages pour des missions de volontariat en service civique.

Corentin Emery de l’association Bouge ton Coq.

Bouge ton Coq sillonne la France à la recherche des meilleures solutions, celles qui changent le quotidien, et met tout en œuvre pour les activer sur tout le territoire.

Bouge ton coq

Cédric Szabo de l’Association des Maires ruraux de France.

L’Association des Maires Ruraux de France fédère, informe et représente les maires des communes de moins de 3.500 habitants partout en France.

Jean-Baptiste Baud de la Fédération Nationale Familles Rurales.

Familles Rurales fédère 1800 associations locales qui agissent en faveur des familles sur tout le territoire, en milieu rural et périurbain.

Familles rurales

Quelle posture adopter ?

Le maître mot est la collaboration : l’entreprise sociale doit se présenter comme un partenaire de la collectivité au service d’un besoin qui émane du terrain et qui a été dûment identifié. Cela demande une forme d’humilité. L’entreprise sociale vient en appui et en soutien de l’existant. Elle n’a pas vocation à concurrencer les initiatives en place.

Cédric Szabo, Association des maires ruraux de France : « Il est facile de dire « Si ça marche ici, on peut transposer là-bas ». La question est : comment on crée les conditions pour qu’une solution marche ?  L’ESS est efficace dans la production de services qui ne sont pas opérés par d’autres acteurs. Mais d’abord, il faut que les gens poussent la porte de la mairie. Il faut travailler, rendre les choses collectives. L’ESS permet de se caler sur le fonctionnement de l’action publique locale sans tomber dans le piège de la verticalité dans lequel tombe parfois l’Etat. »

Corentin Emery, Bouge ton Coq : « On mesure la difficulté d’un maire rural : on n’est pas là pour ajouter une charge au maire, mais pour l’aider à opérer en apportant une méthode, une ingénierie sur laquelle se reposer.

Le mot clé est la coopération : tout le monde a un bout d’une solution. Pour essaimer, il faut se mettre en position de chef d’orchestre : acteurs publics, associations… L’engagement personnel est important, la connaissance ne se fait que par la confiance.

Nous sommes agrégateur de compétences au plan national qu’on duplique au niveau local. Pour cela, le facteur clé est l’engagement des citoyens. On ne fait que proposer, et accompagner la mise en œuvre seulement si le maire, les citoyens, la comcom ont décidé de s’en saisir. »

Camille Plagnard, InSite : « On ne va pas réinventer, développer toujours plus de projets. Nous nous positionnons plutôt sur du soutien à l’existant. Pour prendre contact, un prescripteur qui a déjà la confiance en amont nous aide à pousser la porte d’une mairie. »

Quelle méthode adopter ?

Les acteurs qui s’implantent commencent toujours par un diagnostic des besoins spécifiques à un territoire donné et à une cartographie des acteurs qui lui permettront de faciliter leur intégration dans un écosystème. Toujours dans un esprit de coopération, on gagne aussi à travailler avec des tiers de confiance déjà implantés qui facilitent la mise en relation. Le maire est l’acteur-clé de l’introduction dans un territoire.

Corentin Emery, Bouge ton Coq : « Pour faire le diagnostic des besoins, on discute avec les gens du secteur aménagement rural pour travailler sur la vision. Puis il y a le terrain.

On a pré-identifié une solution utile pour le territoire, on se met autour de la table pour y participer. Notre modèle d’épicerie participative a essaimé dans 200 villages : à chaque fois ce sont autant de besoins et de capteurs pour les comprendre. Pour cela, nous nous appuyons sur les citoyens à qui nous apportons un accompagnement technique avec une sorte d’enquête publique et un petit accompagnement financier. On intègre tout le déploiement de l’opération : on est metteur en œuvre, maître d’ouvrage. On met du rythme…

Sur l’accès aux soins et santé, on a pu se demander pourquoi les médecins ne s’installent-ils pas durablement à la campagne ? Là aussi, on fait un pas de côté : s’ils ne s’installent pas pour trente ans, on leur propose de venir exercer à la campagne une semaine dans l’année. On a créé pour cela une association de médecins solidaires qui gère des centres de santé. Six fonctionnent aujourd’hui, on en prévoit vingt dans les trois ans.

Pour résumer, nous avons donc deux tactiques d’essaimage : soit on opère par nous-même avec un programme national et des déclinaisons locales ; soit on invente une solution qui n’existe pas, on fait une première expérimentation locale et quand c’est concluant, on crée une association dont la mission est de déployer cette innovation sur le plus grand nombre de villages possible. »

Quels sont les modes d'intervention adéquats ?

D’une part, il faut prévoir une action sur le temps long, car la temporalité d’une petite mairie peut s’avérer plus longue qu’on le penserait. Ensuite, il faut agir en complémentarité avec les acteurs existants en leur apportant ce qui leur fait défaut.

Jean-Baptiste Baud Familles rurales : « L’action publique change. On fonctionne de plus en plus par délégation de service public. Nous nous positionnons donc comme acteurs d’innovation dans ces territoires. Exemple : nous avons créé des points d’accès numériques pour lutter contre la fracture numérique. Ce sont des sujets complexes avec beaucoup d’acteurs pour lesquels il faut trouver des financements. Les associations locales sont souvent démunies face à cela. On a donc imaginé le projet et on a apporté l’ingénierie. »

Camille Plagnard – InSite : « Nous mettons l’accent sur la collaboration entre collectivités et associations. On rencontre les deux. Cela permet d’identifier les besoins des territoires, de comprendre comment les acteurs travaillent entre eux. S’il y a une bonne coopération, c’est plus facile pour les jeunes de s’intégrer. Cette phase de diagnostic est importante. Investir financièrement, humainement, a un impact pour une petite commune, donc ça prend du temps. Il faut prendre ce temps. En général ça prend un an avant de recevoir des volontaires. »

Corentin Emery : « Nous agissons à un double niveau. On procède à la fois avec de grandes alliances au niveau national, et on met en musique tout ce qui marche au niveau d’un village. »

Quels sont les outils utilisés par nos intervenants ?

Pour répondre aux besoins des habitants des territoires ruraux, Insite utilise le volontariat rural de jeunes gens, Bouge ton Coq l’épicerie participative et le Temps Partagé Solidaire des médecins ; Familles Rurales des tiers lieux… Les solutions innovantes sont nombreuses. Pour les mettre en œuvre, ils développent des outils comme des comités partenariaux ou des remontées du terrain qui formalisent la coopération.

Jean-Baptiste Baud – Familles rurales : « Notre fonds de dotation Rural mouv permet de repérer des initiatives innovantes. Dans le domaine de la mobilité, nous avons ainsi financé 14 projets.

La logique de réseau apporte une forme d’efficacité. L’avenir se situe dans la mutualisation. Cela peut prendre forme dans un tiers-lieu l’où on peut avoir plusieurs formes de services. »

Corentin Emery, Bouge ton Coq  : « On se sert de ressources présentes sur le terrain pour faire remonter les besoins. Afin d’identifier les réponses apportées à tel ou tel besoin, nous disposons d’une cellule innovationAinsi, certaines de nos épiceries participatives nous ont alertés sur la précarité alimentaire qui est une réalité dans leurs villages

Camille Plagnard – InSite : « Pour essaimer nos projets, on recrute une personne qui rayonne sur trois départements (dans un rayon de 2 heures à 2h30 autour de chez elle) ».