Les clés de la réussite pour créer son commerce à la campagne

Entreprendre en ruralité demande une grande ouverture aux habitants : comprendre un territoire, prendre le temps d’écouter ses habitants et s’allier avec les institutions est essentiel.

Quand on veut développer une activité en milieu rural en créant du lien social, pas question de se précipiter. Nous avons réuni des entrepreneuses, un expert et une développeuse territoriale pour comprendre comment mettre toutes les chances de son côté.

Être à l'écoute des besoins

Véronique Goy
Véronique Goy
Noirétable
Noirétable est situé en haut du massif du Forez.
Super Miam
Le jour de l'ouverture de Super Miam. (photo empruntée à Super-Miam)

Véronique Goy a témoigné de l’ouverture récente de son épicerie « Super-Miam » à Noirétable, qui crée du lien social en offrant un débouché local aux producteurs de son territoire.

« En rural, il y a deux cultures : les anciens et les personnes pas toujours natives, plus jeunes… Il nous a fallu faire preuve de pédagogie, de communication, pour ne pas être perçues comme d’ex-citadines qui se coupent d’une partie de la population. »

Coline Frau, qui a participé à la reprise de l’Auberge de la Valette, en a fait l’expérience. « Quand on a ouvert, nous avons réalisé que notre offre de restauration que nous voulions créative ne correspondait pas à tous habitants du territoire. On nous a dit que c’était pas bon, qu’on forçait les gens à manger des graines…

Les gens étaient habitués au gratin dauphinois ou aux cuisses de grenouilles. Nous avons donc ajouté un nouveau menu plus traditionnel  avec terrines et bœuf bourguignon. »

Julie Damon, de La Grenade, approuve et nuance un peu : « Certes, il faut créer du lien avec gens sur place et organiser animations qui parlent à tout le monde… L’adéquation au public est le conseil n°1. Cependant,  les tensions entre ruraux et néo-ruraux ne sont pas les mêmes partout. Vouloir toucher tout le monde, c’est bien, mais il ne faut pas perdre son âme. »

Prendre le temps du lien social

Coline Frau
Coline Frau, de l'auberge de la Valette.
Plat de l'auberge de la Valette : œuf mariné au soja.
Julie Damon
Julie Damon, La Grenade

Mais savoir écouter, c’est aussi savoir prendre le temps. Même pressé, il faut savoir se poser. « Le rythme rural n’est pas le même que l’urbain, constate Véronique. Il faut s’arrêter en boutique, discuter, prendre le temps, savoir comment les gens vont… Ça crée bouche-à-oreille, ce qui a autant de valeur que la communication classique. Un commerce qui se crée a un rôle de lien social à part entière. »

Coline Frau le confirme. « Discuter avec les gens, ça sert le projet. Il faut le savoir quand on est jeune et qu’on s’installe en rural. Aller au marché, et prendre le temps de discuter. Pour ça, il faut dépasser les 35 heures ! »

Avec son associée, Véronique a passé deux ans à développer et démarrer son projet. « Avant l’ouverture, nous avons voulu fédérer à travers des événements, des animations, des interactions avec des associations. Cela nous a fait gagner un temps fou : il y avait une attente, tout le monde savait qu’on allait ouvrir. »

S'allier avec les collectivités

Elsa Oblette-Paput, développeuse économique pour Charlieu-Belmont communauté.
épicerie cantal
A Saint-Chamant (Cantal), Monique tient à bout de bras l'épicerie de village. La collectivité s'engage aussi. (Photo empruntée à Villages Vivants)
Fabien Lianzon, de Villages Vivants
Fabien Lianzon, de Villages Vivants

Véronique Goy regrette que la mairie de son village s’en soit tenue à une position neutre plutôt que de s’engager. Fabien Lianzon, de Villages Vivants, confirme le rôle essentiel de la collectivité : immobilier, soutien réglementaire, urbanisme, convention pour installer une terrasse, outils juridiques…

« Dans le Cantal, une mairie était prête à activer son droit de préemption pour garder un commerce, se souvient-il. Elle peut aussi porter directement la mise à disposition d’un local avec location à un porteur projet. Ou coinvestir dans un projet coopératif. Ou verser une aide à l’investissement, une aide aux premiers loyers le temps d’atteindre rentabilité… Pour saisir l’Agence Nationale de la Cohésion des Territoires, un simple courrier de soutien de la collectivité s’avère essentiel.

La collectivité peut aussi faire connaître le projet sur ses outils de communication, voire être cliente du lieu. Co-organiser l’inauguration d’une boulangerie avec la mairie donne crédibilité et ampleur à son lancement ».

Elsa Oblette-Paput, de Charlieu-Belmont communauté, est souvent contactée par les gérants qui partent en retraite. Dans ce cas, elle remue ciel et terre pour trouver une repreneuse ou un repreneur, mais pas n’importe lequel : « On veut quelque chose qui tienne dans le temps. » Sa collectivité soutient financièrement certains projets, avec la Région. Puis, le soutien se poursuit en diffusant les menus ou les événements dans les médias locaux.

Les quatre points clés pour créer
un commerce à la campagne

selon Fabien Lianzon, de Villages vivants.

1. Le territoire. Il faut faire avec et pour son territoire et ses acteurs. Commencez par une phase d’identification: quel est le bassin de vie, quels trajets font les habitants, quelles communications. Allez à la rencontre des habitants. Impliquez-les tôt pour comprendre leurs besoins. Rapprochez-vous des collectivités et des acteurs locaux. Ils doivent être vos alliés. Identifiez avec eux les besoins mal ou non couverts.

2. La posture entrepreneuriale. N’ayez pas peur de taper aux portes. Faites-vous accompagner par des organisations comme Initiative, France Active, Ronalpia… Mettez-vous en réseau. Allez vous immerger dans des projets similaires sur d’autres territoires pour identifier leurs points forts et leurs difficultés. Sachez vous adapter et vous repositionner sans perdre vos valeurs initiales pour éviter la démotivation.

3. La force du collectif. Misez sur des projets collectifs d’économie sociale et solidaire. Cela permet de rompre les situations d’isolement. Les modèles ESS sont protecteurs à plusieurs titres. Ils permettent de mettre en avant l’intérêt du projet collectif. Ils permettent de transmettre plus facilement et de maintenir l’activité même si les fondateurs s’en vont. Ces modèles permettent aussi d’attirer des bénévoles, des parties prenantes, des habitants qui peuvent s’intégrer au projet. Ils facilitent la mobilisation des forces vives.

4. L’immobilier. Réfléchissez à l’implantation du lieu, sa visibilité, son accessibilité, sa signalétique, les voies de communication qui y mènent. L’Auberge de la Vallette est située dans un lieu où il faut avoir choisi d’aller : ses propriétaires ont dû travailler la renommée de l’auberge. Essayez de vous projeter dans les futurs usages du lieu, rendez-le optimal. Demandez-vous s’il est adapté à vos activités : taille, normes, changement éventuel de destination… Gardez du potentiel pour un développement ou une diversification ultérieurs. A Villages Vivants, nos loyers sont fixés en fonction du coût : les travaux sont à prioriser. On travaille ainsi sur des simulations de loyers pour une bonne adéquation entre le bien immobilier et le projet.